Le XIIe siècle marque la construction de Notre-Dame de Paris. Ce chantier fut l'épicentre d'un développement remarquable de l'activité musicale dans la capitale, grâce à l'émergence d'une école de composition polyphonique : l'École de Notre-Dame. Pour rehausser la solennité des jours de fête, les chants de la messe et de l'office furent arrangés pour deux voix, compilés dans le Magnus liber organi. Deux maîtres inséparables étaient à l'œuvre : Léonin et Pérotin. Le premier, Maître Léonin, composa de nombreux organa à deux voix dans un style mélismatique et "florissant". Imaginez deux voix s'entrelacer en résonance : l'une, la voix organale, tisse des mélodies somptueuses et ornées, tandis que l'autre, le plain-chant grégorien, fournit de longues tenues stables. C'est l'art combinatoire de la polyphonie. Plongez dans la musique de Léonin avec le répons Iudea et Ierusalem, un chant liturgique où le chœur répond au soliste. Il était chanté à Notre-Dame lors des premières vêpres de Noël.
Rappelons que Léonin était accompagné d'un autre grand maître de la polyphonie : Pérotin. Pérotin retravailla et révisa de nombreuses compositions de Léonin, introduisant des sections rythmiquement innovantes. Il développa également une nouvelle technique appelée discantus, lui permettant d'élargir son écriture polyphonique à trois voire quatre voix. Cette innovation donna naissance à Viderunt omnes, un grand organa à quatre voix, ou organum quadruplum, interprété lors de la messe du jour de Noël ou pendant la saison de Noël. Écoutez les tons solennels et soutenus du plain-chant résonner, avec trois voix supplémentaires superposées, engageant un jeu mélodique et polyphonique complexe. Les ornements de l'organa font écho aux voûtes gothiques de Notre-Dame, tandis que l'architecture sonore se déploie dans l'immensité de la cathédrale.
Les temps étaient durs. La guerre de Cent Ans faisait rage, la peste noire décimait les populations, et l'Église était en crise. La papauté s'était scindée entre Rome et Avignon, créant un affrontement chaotique de croyances. Au milieu de ce tumulte, les artistes élevèrent leurs voix. Parmi les plus notables, Guillaume de Machaut et Philippe de Vitry parlèrent de justice, d'espoir et de satire. Ils élevèrent la science du chant et l'art de la polyphonie, tissant des messages symboliques et audibles pour dénoncer les vices des puissants. Le Roman de Fauvel dépeignait les dirigeants corrompus à travers le personnage de Fauvel, un âne devenu roi mû par la cupidité et le vice. Son nom est un acronyme pour Flatterie, Avarice, Vilénie, Variabilité, Envie et Lâcheté. Philippe de Vitry contribua au Roman de Fauvel, notamment avec son motet à trois voix Adesto, sanctas trinitas. Chaque voix délivre un texte différent, transmettant un message de foi et de paix : "Reste ferme dans la foi", "Sois avec nous, ô Sainte Trinité", et "Alléluia". Cette multiplicité qualifie le motet de pluritextuel. Il peut également être joué de manière instrumentale.
Les cloches retentissent ! Le 16 décembre 1431, Henri VI d'Angleterre, âgé de 10 ans, fut couronné roi de France. Couronné roi d'Angleterre l'année précédente à l'abbaye de Westminster, il arriva maintenant à Notre-Dame, en pleine guerre civile et guerre de Cent Ans, quelques mois après la mort de Jeanne d'Arc à Rouen. Dans la cathédrale, on entend l'orgue jouer l'Ave Regina Coelorum de Walter Frye. Initialement composé pour trois voix, ce morceau loue la Vierge Marie, reine du ciel. Jouée ici à l'orgue, la polyphonie reste claire grâce aux tuyaux de l'instrument, qui offrent diverses possibilités sonores. Cette pièce a survécu grâce au Codex de Buxheim, un manuscrit contenant plusieurs œuvres pour orgue. Une grande partie de la musique de Frye fut perdue lors des pillages des monastères anglais au siècle suivant.
Contemporain de Josquin des Prés, Antoine Brumel fut mentionné par Rabelais dans la préface de Pantagruel, une marque indéniable de renommée. Né à Chartres, où il servit comme chantre de la cathédrale, Brumel enseigna ensuite la musique aux enfants de chœur de Notre-Dame. Brumel hérita d'une tradition remontant au 22 avril 1486, lorsque le chapitre de Notre-Dame exigea que les enfants de chœur s'agenouillent devant le maître-autel après les matines le premier jour de chaque mois et chantent le verset Ave Maria, gratia Dei plena per secula... en l'honneur de la Vierge Marie. Brumel créa la première version polyphonique de ce chant, un "motet-paraphrase" à trois voix où le thème grégorien résonne tout au long. Écoutez comment les voix des enfants devant l'autel semblent incarner la pureté et la joie de Marie.
Entendez-vous ces voix s'élever en supplication ? Elles implorent la miséricorde du Seigneur dans le Kyrie de la Missa Vidi speciosam de Mathieu Sohier, une messe-parodie. Le terme "parodie" ici désigne une composition basée sur une œuvre préexistante, sacrée ou profane, une pratique courante à la Renaissance. Cette messe s'inspire de deux sources, dont un motet polyphonique de Johannes Lupi mis en musique sur des paroles latines d'un répons chanté lors de la fête de l'Assomption de Marie. Le répons commence par "Vidi speciosam", "Je l'ai vue, belle comme une colombe, s'élevant au-dessus des eaux."
Dans l'exemplaire personnel de Marin Mersenne de l'Harmonie Universelle, une pièce d'orgue attribuée à Charles Racquet fut découverte : une prière à la Vierge Marie, Regina cæli, mise en musique par Racquet. Cette pièce, intitulée Fantaisie, illustre ce qui pouvait être réalisé sur l'orgue. Le thème de Regina cæli est d'abord présenté, puis varié par l'ajout de nouvelles voix. Cette œuvre, probablement la première composition pour orgue en France, met en évidence la maîtrise de Racquet de l'instrument, de sa mécanique et de ses possibilités. Elle illustre la richesse musicale de la polyphonie, l'art d'agencer plusieurs voix mélodiques. Racquet contribua également à l'évolution de l'orgue de Notre-Dame. Dès 1618, il ajouta de nouveaux jeux à l'orgue médiéval, le transformant en le premier instrument à trois claviers de Paris : un Positif avec 14 jeux distincts, un Boucquin avec 7 jeux, et le Grand Orgue. Dans sa Fantaisie, Racquet alterne entre ces claviers, offrant un aperçu de leur potentiel musical. Son travail illustre la fusion entre artisanat et art, à la fois en tant que facteur d'instruments et compositeur virtuose.
Un autre compositeur célébré dans l'Harmonie Universelle de Marin Mersenne en 1636 est Henri Frémart. Connu pour deux psaumes composés pour marquer la naissance de Louis XIV en 1638 (aujourd'hui perdus), Frémart était originaire de Picardie et a servi à Rouen et à Amiens avant de devenir Maître de musique des enfants de chœur de Notre-Dame en 1625, poste qu'il occupa jusqu'en 1640. Entre 1642 et 1645, huit messes de Frémart furent publiées par l'éditeur parisien Ballard. Parmi elles, la messe à cinq voix Missa Eripe me, Domine, publiée en 1643. Son titre, tiré du Psaume 139 (« Délivre-moi, Seigneur, de mes ennemis »), fait référence à un motif grégorien non identifié. Le Credo, la troisième pièce de la messe, contient le texte complet de la prière correspondante. Notamment, Frémart attribue le Crucifixus (« Il a été crucifié ») aux trois voix supérieures, cantus, altus et tenor, qui entrent en imitation de la tonalité la plus basse à la plus haute. Les cinq voix se réunissent pour l'affirmation triomphante finale : « Je crois en l'Esprit Saint », concluant par un Amen vocalisé.
Le 5 mai 1789, les États généraux se réunirent à l'Hôtel des Menus Plaisirs à Versailles. La veille, une grande procession accompagnait l'arrivée de Louis XVI. La salle avait été agrandie pour accueillir les 1 200 députés du Tiers État, de la noblesse, du clergé et de la famille royale. Le 17 juin, un député écrivit : « Le coup décisif a été frappé ; nous existons enfin, et nous sommes l'Assemblée nationale. » Trois jours plus tard, le roi ferma la salle. « Ceux qui arrivèrent tôt la trouvèrent gardée par des soldats qui en barraient l'entrée », écrivit un autre député. Le 15 juillet, au lendemain de la prise de la Bastille, la nouvelle atteignit Versailles. Les rapports décrivaient « la prise de la Bastille, la trahison du gouvernement et le massacre des citoyens armés ». Dans les années qui suivirent, l'autorité divine de la monarchie s'effondra. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fut proclamée le 26 août 1789. En 1792, après la prise des Tuileries et la tentative d'évasion du roi, les citoyens chantèrent l'Hymne à la Liberté de Gossec pour défendre leurs nouvelles libertés. Gossec, « le musicien officiel de la Révolution », composa de nombreuses œuvres patriotiques, y compris un Te Deum interprété par 4 000 chanteurs, 300 joueurs de vent et 300 tambours au Champ-de-Mars le 14 juillet 1790.
Nous sommes le 2 décembre, Le pape Pie VII sera présent. Pour l'instant, la procession vient de partir du palais des Tuileries ; elle se dirige vers Notre-Dame, où nous l'attendons à 10 h 30. Quelle cérémonie ce sera, magnifique ! Pour l'occasion, certains de nos plus illustres compositeurs ont été honorés de la tâche d'écrire de la musique pour cet événement. Pour commencer ce moment historique, Jean-François Lesueur a composé sa Marche du Sacre. Oh, je les ai entendus répéter il y a quelques jours, c'est vraiment grandiose ! Trompettes, piccolos, timbales et orgue, tous résonnant à l'unisson, marquant le rythme de la marche tandis que la grande assemblée entre dans Notre-Dame ! Jean-François Lesueur s'est surpassé ! Cette année, il a été nommé Maître de la chapelle des Tuileries par Bonaparte, succédant à Paisiello, qui souhaitait retourner en Italie. La production musicale de Lesueur est vaste, comprenant de nombreuses tragédies lyriques (un genre d'opéra français), oratorios (des œuvres vocales sur des thèmes religieux, généralement sans mise en scène), chansons et messes pour chœur et grand orchestre. Pour la cérémonie, le peintre Jacques-Louis David a été invité à immortaliser le sacre du couple impérial. Regardez, une fois la procession et l'assemblée en place, le pape Pie VII s'assiéra ici à l'autel pour couronner et bénir le nouvel empereur Napoléon et l'impératrice Joséphine. Ou peut-être que ce sera Bonaparte lui-même, comme Napoléon, qui couronnera sa femme ? Certains disent même qu'il se couronnera lui-même en plaçant la couronne sur sa propre tête. Qui sait ?
Reconnaissez-vous les carillons caractéristiques du palais de Westminster ? Big Ben fait entendre ces quatre notes dans des combinaisons variées toutes les quinze minutes depuis 1886. Louis Vierne, organiste de Notre-Dame de 1900 à 1937, s'est inspiré d'une mélodie qui lui a été envoyée par un horloger londonien. Celle-ci devint la base de son Carillon de Westminster, partie de ses Vingt-quatre pièces de fantaisie (1925–26). Créé à Notre-Dame le 29 novembre 1927, le morceau fut salué par le public et la critique. Vierne continua à l'interpréter régulièrement, notamment lors de l'inauguration de l'orgue restauré de Notre-Dame en 1932. Écoutez comment les riches harmonies de l'orgue se déploient sous les voûtes de la cathédrale. L'orgue symphonique de l'époque, un Cavaillé-Coll, était révolutionnaire, offrant de nouvelles couleurs et textures tonales aux compositeurs comme Vierne. Depuis son modeste début, le thème du carillon grandit jusqu'à un grand climax, guidant l'auditeur comme un phare tout au long de la pièce.